La Direction de l’IVAC a adopté une « interprétation restrictive »,voire abusive de la Loi sur l’indemnisation des victimes d’actes criminels qui « va à l’encontre de l’esprit d’un régime public à vocation sociale et réparatrice qui appelle une interprétation large et libérale ainsi qu’une souplesse dans l’application », souligne-t-elle dans un rapport accablant dévoilé jeudi.
L’organisation « impose » ni plus ni moins des conditions d’admissibilité aux mesures d’aide qui ne sont « pas prévues » dans la législation. Par exemple, elle balaie du revers de la main les demandes de victimes qui subissent des « blessures psychologiques » plus de deux ans après l’événement traumatisant qu’elles ont vécu. Or, d’après la loi sur l’IVAC, toute demande d’indemnisation doit être soumise à la Direction de l’IVAC dans les deux ans de la « survenance » de l’événement, c’est-à-dire le moment où la victime prend conscience du préjudice subi et de son lien probable avec l’acte criminel, fait remarquer Mme Saint-Germain.
Prescription
Anne (nom fictif) a présenté une demande de prestations pour un préjudice psychologique lié à des agressions à la fois physiques et sexuelles perpétrées par son père durant sa jeunesse. La Direction de l’IVAC l’a rejetée. « Bien que la femme ait déposé sa demande dans l’année où elle a pleinement réalisé le poids de sa blessure psychologique, la Direction de l’IVAC, conformément à son orientation, a considéré que le délai d’un an avait commencé à courir au moment où la victime avait subi une blessure physique importante liée aux agressions, en l’occurrence une grossesse qui est assimilée par la Loi à une blessure », relate la protectrice du citoyen.
Qui plus est, les victimes — de voies de fait, viol, inceste ou tentative d’homicide, par exemple — sont tenues de « prouver que l’acte s’est bel et bien produit », mais également de « démontrer les circonstances précises du crime, y compris son mobile », précise-t-elle dans son rapport de quelque 100 pages. Encore une fois, « ceci va bien au-delà de l’exigence prévue à la loi ».
L’« approche de gestion administrative actuelle » du régime d’indemnisation public mis en place en 1972, notamment afin de prêter main-forte aux victimes, est « peu adaptée aux besoins en matière d’assistance, de soutien, d’information, de considération et de rapidité d’intervention, des victimes et de leurs proches, placés en situation de vulnérabilité particulière en raison des événements subis », résume Mme Saint-Germain, se disant « inquiète » de la situation.
Correctifs attendus
Du coup, des « correctifs » s’imposent pour favoriser une « administration du régime d’indemnisation davantage en phase avec les besoins des victimes et respectueuse du contexte qui les a menées à requérir de l’aide », poursuit-elle. Son rapport est d’ailleurs assorti de 33 recommandations, qui ne requièrent ni modifications législatives ni sommes additionnelles. L’amélioration de la qualité et de la clarté de l’information pour appuyer davantage les victimes dans leurs démarches est l’une d’entre elles.
La protectrice du citoyen presse aussi l’organisme intégré à la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) à écourter les « longs délais » de traitement administratif des demandes de prestations. Ceux-ci reportent de« plusieurs semaines, voire des mois » l’octroi d’« indemnitésen remplacement d’un revenu » ou encore d’« assistance aussi indispensable qu’une thérapie ».
« [L]es répercussions [du crime] prennent souvent la forme de traumatismes profonds chez les victimes. Leur vulnérabilité après les faits appelle une réponse diligente, empathique et efficace de la part de la Direction de l’IVAC pour assurer aux personnes admissibles la meilleure prise en charge. Or, notre enquête révèle que ce n’est malheureusement pas toujours le cas », conclut-elle.
Le député caquiste Simon Jolin-Barrette presse le gouvernement libéral à forcer l’IVAC à « enlever toutes les barrières » à l’aide aux victimes d’actes criminels. « Il ne faut pas qu’aucune victime, qui a droit au régime d’indemnisation au Québec, ne soit lésée par la bureaucratie », a-t-il déclaré, tout en brandissant le rapport « accablant » de Mme Saint-Germain.
Un plan à venir
La Direction de l’IVAC compte suivre l’« ensemble des recommandations » de la protectrice du citoyen, a soutenu le porte-parole de la CNESST, Pierre Turgeon. D’ailleurs, un « plan de travail » pour y arriver sera dévoilé au plus tard en décembre, a-t-il promis dans un court entretien téléphonique avec Le Devoir. « La Direction de l’IVAC est soucieuse d’améliorer ses façons de faire. »
De son côté, la ministre de la Justice, Stéphanie Vallée, « prend note » des conclusions de Mme Saint-Germain et « va revenir plus tard avec les mesures qui seront prises », a indiqué sa directrice de cabinet, Nathalie Roberge. « L’aide aux victimes d’actes criminels est une priorité pour notre gouvernement », a-t-elle ajouté, rappelant que plus de 112 millions de dollars ont été versés aux personnes victimes d’actes criminels en 2015-2016. « Le Régime québécois d’indemnisation est le plus généreux au Canada. Il est plus généreux que [ceux des] autres provinces réunis. »
Article paru dans le Devoir
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