Si l’itinérance des femmes a été largement rendue invisible par le passé, de plus en plus d’études féministes documentent les barrières structurelles auxquelles ces femmes font face lorsqu’elles tentent d’obtenir de l’aide ou de stabiliser leurs conditions de vie.
Conduite par un collectif de recherche dans huit régions administratives, cette étude visait à documenter les liens entre la violence de la part de partenaire intime (VPI) et l’itinérance.
La démarche partenariale réalisée dans le cadre de cette étude a favorisé une appropriation collective des résultats.
C’est ainsi que 46 entrevues de type récits de vie ont été réalisées avec de femmes âgées entre 21 et 81 ans, ayant subi de la VPI et ayant vécu une ou plusieurs situations d’itinérance dans les cinq années précédant l’étude. Une analyse des trajectoires de vie de ces femmes, de même qu’une analyse de contenu thématique réalisée à partir d’une perspective théorique féministe intersectionnelle a permis d’identifier quatre « trajectoires types » marquant le passage des femmes vers l’itinérance ainsi que différentes expériences de violence institutionnelle ayant fragilisé leurs conditions de vie, et ayant (re)produit des situations d’itinérance. Il a été possible de constater que 25 des 46 femmes interviewées ont vécu un passage vers l’itinérance en amont d’une trajectoire de violence de la part de partenaire intime. Ces femmes, dont la trajectoire intime est discontinue, cumulent des relations de courte durée entrecoupées de périodes d’itinérance. Toutes les autres femmes (21) ont, pour leur part, vécu un passage vers l’itinérance conséquemment à une longue relation intime significative.
Les trajectoires de ces femmes se déclinent selon trois configurations. Pour certaines femmes (7), la situation d’itinérance a été induite par la violence du conjoint. Pour d’autres (6), elle a été produite par les très nombreuses tentatives effectuées pour quitter cette relation violente. Enfin, pour un dernier sous-groupe (8), le passage vers l’itinérance s’est effectué après la rupture définitive, conséquemment à la violence post-séparation et à la dégradation de leurs conditions de vie. Nos analyses ont également permis de documenter de nombreuses expériences de violences institutionnelles vécues par les participantes, lesquelles ont fragilisé leurs conditions vie et ont (re)produit des situations d’itinérance. Notons, entre autres : 1) la discontinuité des trajectoires de placement et le manque de soutien offert aux filles dans les services de la Direction de la protection de la jeunesse; 2) l’absence de dépistage du contrôlecoercitif ; 3) l’exclusion et la revictimisation des femmes violentées qui ont des enjeux de santé mentale ou 4) de celles qui consomment drogues et alcool, principalement lorsque celles-ci sont mères et, enfin, 5) l’accessibilité limitée à des ressources en hébergement.
Ces résultats ont été présentés, discutés et enrichis dans le cadre de dix groupes de discussion réunissant près de 200 intervenant.e.s œuvrant dans le champ des violences faites aux femmes, de l’intervention féministe ou de l’itinérance. Ces groupes ont permis de bonifier les résultats de l’étude concernant les services disponibles pour les femmes dans les différentes régions étudiées, de même que de révéler des enjeux sociaux, politiques et économiques qui y structurent les réseaux de services et les conditions de vie des femmes. La démarche partenariale réalisée dans le cadre de cette étude a favorisé une appropriation collective des résultats et a conduit à la formulation de dix recommandations permettant de consolider le réseau d’aide destiné aux femmes violentées et à leurs enfants, de manière à faciliter la stabilisation de leurs conditions de vie et à prévenir l’itinérance. Ces recommandations doivent évidemment se concrétiser en prenant en considération les besoins et les réalités régionales.
Chercheures principales
Marie-Marthe Cousineau, Université de Montréal
Catherine Flynn, Université du Québec à Chicoutimi