Violence conjugale: autant d’hommes que de femmes victimes?

Montréal, le 27 janvier 2016 – Depuis la publication de l’enquête sociale générale (ESG) de 2014 sur la victimisation, une seule donnée semble retenir l’attention de tous : autant d’hommes que de femmes seraient victimes de violence conjugale. Pour beaucoup, c’est un constat éloquent qui fait tomber un mythe. Pour la Fédération des maisons d’hébergement pour femmes (FMHF), il importe d’interpréter ces données statistiques avec précaution, mais surtout de contextualiser la question et d’en préciser certains éléments. 

Violence envers les hommes.

La FMHF ne nie pas que des hommes puissent être victimes de violence de la part de leur conjointe. Selon les chiffres, environ 4%, soit 760 000 personnes, ont déclaré avoir été victimes de violence physique ou sexuelle, ou les deux, de la part de leur partenaire au cours des cinq années précédentes. Une proportion de 4% identique à la fois chez les hommes et les femmes. L’enquête semble effectivement démontrer un taux de violence symétrique. Cependant, et depuis plusieurs années déjà, aucun consensus n’est trouvé compte tenu notamment des différences de méthodologie utilisée.

La prise en compte du contexte.

Les limites méthodologiques sont bien présentes lorsqu’il s’agit de mesurer des comportements, sans pour autant les ancrer dans un contexte. Comme le précise dans la Presse canadienne Stéphane Guay, criminologue et spécialiste des questions de violence de l’Université de Montréal, « Par exemple, quand une femme porte des coups, est-ce que c’était en guise de réplique ou si c’est la femme qui a initié le geste ? On ne le sait pas ».  En cela, il est nécessaire de poser une définition claire sur un phénomène aussi grave que la violence conjugale. Tel que précise le plan d’action gouvernemental 2012-2017 en matière de violence conjugale du gouvernement du Québec : « La violence conjugale comprend les agressions psychologiques, verbales, physiques et sexuelles ainsi que les actes de domination sur le plan économique. Elle ne résulte pas d’une perte de contrôle, mais constitue, au contraire, un moyen choisi pour dominer l’autre personne et affirmer son pouvoir sur elle. » Il importe de distinguer la violence conjugale de la violence situationnelle ou des chicanes de couple. Sans précision aucune, comment distinguer des actes de violence graves perpétrés dans un climat constant de domination et des actes de violence ponctuels délivrés en guise de réplique ou de défense ? Il est essentiel de rester précautionneux quant à la lecture de chiffres non contextualisés.

Le concept de « symétrie» et ses failles.

De plus en plus d’enquêtes sur la violence se fondent sur le concept de « symétrie », utilisant des instruments de mesure se basant exclusivement sur le geste physique. On occulte progressivement  l’analyse de la violence en termes de rapports de pouvoir entre hommes et femmes et la réalité spécifique de la violence envers les femmes. Ainsi, la violence est symétrique et le coup de poing de l’homme violent équivaut au coup de poing de la femme qui, souvent, se défend : parce qu’elles ne sont pas des victimes passives, les femmes seraient donc aussi violentes que les hommes. Ce concept biaise évidemment la représentation des violences. En cela, la FMHF recommande l’utilisation systématique de l’analyse différenciée selon les sexes (ADS) concernant toute étude et publication portant sur la violence. Cela permettrait de disposer de données plus justes et plus fiables, et ce, en fonction du sexe. Ainsi, les acteurs concernés pourront intervenir de façon à répondre aux besoins précis des victimes, qu’elles soient femmes ou hommes. Plutôt que de symétriser la violence, pourquoi ne pas s’affairer à faire de l’égalité de droit une égalité de fait, garante d’une société sans violence ?

La gravité de la violence.

Les femmes sont plus souvent victimes que les hommes d’actes de violence plus dangereux et leurs conséquences physiques et psychologiques sont plus importantes. Parmi les victimes de violence conjugale, les femmes demeurent deux fois plus nombreuses à avoir subi les violences les plus graves (34% contre 16% chez les hommes), soit d’avoir été agressées sexuellement, battues, étranglées ou menacées avec une arme à feu ou un couteau. Selon les données de 2013 du ministère de la Sécurité publique du Québec : en contexte conjugal, les femmes composent la totalité ou presque des victimes d’homicides (100%), d’enlèvements (100%), de séquestrations (96,6%) et d’agressions sexuelles (97,9%). Par ailleurs, 40% des femmes ont déclaré avoir été blessées physiquement, qu’ils s’agissent d’ecchymoses, de coupures ou d’os brisés. L’ESG précise également qu’en plus des blessures corporelles, des effets psychologiques associés au trouble de stress post-traumatique (TSPT) ont été mentionnés par les victimes de violence conjugale et majoritairement chez les femmes. Les actes de violences que les femmes affrontent sont souvent susceptibles de mettre en danger leur vie et de les traumatiser longtemps par la suite. Ces gestes laissent des traces, à la fois physiques et psychologiques.  

4%

Encore une fois, le but n’est pas de discréditer la violence dont les hommes peuvent être victimes. Il s’agit simplement de mettre en lumière certains éléments primordiaux afin de ne pas tirer de conclusions hâtives. Les chiffres parlent, mais ne relatent pas un portrait juste de la réalité. Non, les 4% avancés ne sont pas identiques chez les hommes et les femmes. Non, ces 4% n’ont pas la même portée et la même signification. Non, le mythe ne s’effondre pas, les femmes sont toujours les principales victimes de violences conjugales et les plus gravement touchées. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), 1 femme sur 3 est victime de viol dans sa vie : faut que ça change !  

 

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Sources et info :

Manon Monastesse
Directrice générale
Fédération des maisons d’hébergement pour femmes
 

 

Marie-Hélène Senay
Coordonnatrice communications et analyse politique
Fédération des maisons d’hébergement pour femmes
514-878-9757 #224
mhsenay@fede.qc.ca