Montréal, le 16 mars 2021 – À la veille de la 4e semaine de travaux parlementaire sur l’analyse du projet de loi PL84; Loi visant à aider les personnes victimes d’infractions criminelles et à favoriser leur rétablissement sous la direction de Simon Jolin-Barrette, un groupe composé de victimes, de juristes expert.e.s et d’associations de défense des droits des victimes demande que d’autres amendements soient déposés par le ministre afin que la réforme du programme d’indemnisation des victimes d’actes criminels (IVAC) ne vienne pas entacher des droits déjà acquis dans la loi actuelle. En effet, bien que le ministre ait annoncé qu’il proposera des amendements visant à assurer un revenu aux personnes sans emploi, d’autres éléments sont à surveiller.
Des amendements bienvenus
Les modifications au projet de loi n°84 annoncées par le ministre font écho à l’une des recommandations majeures que les groupes avaient exprimées lors de leurs différentes représentations auprès du ministère. « Nous nous expliquions mal comment le projet de loi pouvait limiter ainsi les indemnités financières récurrentes aux personnes bénéficiant d’un lien d’emploi. Nous savons que 38% des femmes en hébergement d’urgence et 86% des femmes en hébergement de 2e étape n’ont pas de lien d’emploi à leur admission, le plus souvent du fait de la violence conjugale. Sans les amendements proposés par le ministre, ces femmes auraient été discriminées pour les prestations par le fait même des actes criminels qu’elles subissent! », explique Gaelle Fedida, coordonnatrice aux dossiers politiques à l’Alliance MH2. « Nous sommes fières d’avoir réalisé les représentations nécessaires qui ont mené aux amendements annoncés, et saluons l’écoute dont a fait preuve le ministère sur cet enjeu. Nous espérons maintenant que cette écoute se reflètera pour l’ensemble de nos revendications. », ajoute Stéphanie Tremblay du Regroupement québécois des centres d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (RQCALACS).
Trois éléments à surveiller à propos des aides financières
Une limite de trois ans injustifiable
Premièrement, si aucune modification n’est apportée au projet de loi du ministre Jolin-Barrette, les victimes n’auront droit à des aides financières de remplacement de revenu que pour une durée maximale de trois ans alors que la loi actuelle ne trace aucune limite de temps. « Incontestablement, le projet de loi n°84 poussera à la faillite et à la misère des milliers de victimes et leurs familles. Le ministre ne peut pas prétendre améliorer leur condition et du même souffle mettre fin brusquement à leur remplacement de revenu après 3 ans alors que leur invalidité perdure. Il s’agit d’un recul majeur qui ne connait pas de précédent au Québec depuis plus d’un demi-siècle » s’insurge Me Marc Bellemare. « Il est largement reconnu que, pour reprendre le cours de leur vie, les victimes ont besoin de temps et ce temps, tout comme la guérison, ne peut être prescrit dans une loi sans pénaliser de multiples victimes. La loi doit prévoir un régime qui s’adapte aux circonstances du crime et de son impact évalué par la victime et son médecin traitant le cas échéant. » ajoute Stéphanie Tremblay du RQCALACS. Par ailleurs, le Protecteur du citoyen a recommandé, dans son mémoire présenté à la Commission des institutions, que le « projet de loi n°84 soit modifié afin de ne pas comporter de période maximale de versement de l’aide financière palliant à une perte de revenu (AFPPR) et que celle-ci soit versée jusqu’à la consolidation de l’état de la victime » : le ministre inscrira-t-il dans sa loi ce que le Protecteur du citoyen identifie comme un recul des droits des victimes?
Les indemnités seront-elles suffisantes pour répondre aux besoins des victimes?
Les articles du projet de loi n°84 qui portent sur les différentes aides financières et programmes auxquels les victimes auront droit restent très imprécis : on propose de s’en remettre à des règlements pour fixer les montants et modalités d’indemnisation. Or, la règlementation permet, certes, une plus grande flexibilité qui bénéficie parfois aux victimes, mais quelles garanties avons-nous que les montants qui seront établis ultérieurement par règlement permettront de répondre adéquatement aux besoins des victimes ? L’Association des juristes progressistes recommandait, dans son mémoire présenté devant la Commission des institutions, « d’établir, à l’aide d’un comité d’expert[.e.]s composé notamment d’actuaires, de psychologues et d’intervenants.es psychosociaux, des balises de principe pour encadrer les indemnités qui seront déterminées par règlement. » Le ministre a décidé de précipiter l’étude détaillée du projet de loi malgré nos nombreuses demandes de ralentir le processus. Ce faisant, le temps manquera peut-être pour mettre sur pied un tel comité qui établirait des balises minimales à inscrire dans la loi. Néanmoins, nous sommes d’avis que la loi doit garantir aux victimes que leurs besoins seront pris en compte et que les intervenant.e.s travaillant auprès d’elles seront consulté.e.s lors de l’établissement des modalités et montants par règlement.
Les prestataires de l’aide sociale encore pénalisés
Depuis plusieurs années, de nombreux groupes et individus dénoncent le fait que des victimes voient leurs prestations d’aide sociale réduites lorsqu’elles reçoivent des indemnités de l’IVAC. Pour Me Manuel Johnson, «déduire les montants compensatoires de l’IVAC aux prestataires d’aide sociale revient à nier leur statut de victime ainsi que leur droit à la guérison. En 2019, la Cour supérieure qualifiait cette situation d’injustice sociale et appelait le législateur à y remédier. Il s’agit d’une discrimination envers les prestataires d’aide financière de dernier recours et envers les femmes au sens de l’article 10 de la Charte québécoise qui découle de l’interaction entre les deux régimes et le projet de loi n°84 pourrait y remédier puisqu’il modifie déjà la loi sur l’aide aux personnes et aux familles. »
Un appel à l’action
« Le projet de loi n°84 présente de réelles avancées pour nombre de victimes, mais le rétrécissement de l’accès aux indemnisations pour les victimes les plus vulnérables nous préoccupe grandement. Monsieur Jolin-Barrette, vous portez la responsabilité de soutenir les victimes le plus efficacement possible, soyez réceptif à leurs demandes, elles sont légitimes! » conclut Éric Boudreault père reconnu par l’IVAC à la suite du féminicide de sa fille Daphné Huard-Boudreault, assassinée par son ex-conjoint violent en 2017. Les victimes, juristes et associations de défense de droit des victimes suivront avec intérêt les travaux parlementaires des prochains jours et semaines, avec l’espoir de voir de nouveaux amendements répondre aux préoccupations exprimées.