« Si des victimes se sont tournées vers les réseaux sociaux ou vers les médias pour dénoncer, c’est parce qu’il y a un problème […] il y a un déficit de confiance envers le système », souligne la ministre de la Justice, Sonia LeBel.
Deux ans après le mouvement de dénonciation #MoiAussi, Québec a formé un comité d’experts sur l’accompagnement des victimes d’agression sexuelle et de violence conjugale.
Questionnée à savoir si le regain de confiance du public passera par davantage d’accusations et de condamnations, la ministre LeBel demeure prudente, rappelant qu’il s’agit d’un problème complexe, avec de nombreux facteurs à prendre en compte.
« Je ne sais pas si la perception ou le sentiment de confiance doit passer par plus d’accusations […] C’est sûr que si la victime a plus confiance, il va sûrement découler plus de dénonciations et si elle est mieux préparée, qu’elle n’a pas, à titre d’exemple, et je ne parle pas d’une cause particulière, multiplié les déclarations dans les médias, c’est sûr que les chances de condamnation sont probablement meilleures », indique la ministre.
Le gouvernement provincial donne un an à ce nouveau groupe pour proposer des solutions, a-t-il annoncé lundi lors d’une rare conférence transpartisane, où étaient présentes des députées des quatre partis de l’Assemblée nationale.
Le comité regroupera notamment Elizabeth Corte, ex-juge en chef à la Cour du Québec, Michel Dorais, chercheur et professeur en criminologie à l’Université Laval, Hélène Cadrin, spécialiste en matière de violence conjugale, Sylvain Guertin, enquêteur spécialisé en matière d’agressions sexuelles, ainsi que des représentants des CALACS (Centres d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel) et des CAVAC (Centres d’aide aux victimes d’actes criminels), des organismes qui viennent justement en aide à ces victimes.
« Ce sont des gens de tous les horizons qui sont connectés sur le terrain et chacun présent dans l’une des différentes étapes [de la dénonciation par une victime] », explique Mme LeBel.
La ministre réitére ne pas avoir l’intention à court terme de demander une réforme du Code criminel, comme certains l’ont suggéré, pour renverser le fardeau de la preuve dans les cas d’agression sexuelle.
« Il n’est pas question pour moi de penser à faire une coche dans la présomption d’innocence, je pense qu’on doit continuer à la chérir. On est dans le sentiment de confiance et l’accompagnement des victimes. […] [L] es droits des accusés ne sont pas mis en cause ou contestés », dit-elle.
« Le Québec peut faire énormément pour changer les choses » dans son champ de compétence, a insisté lundi la députée péquiste Véronique Hivon. Elle a d’ailleurs fait un parallèle avec l’aide médicale à mourir, rappelant que lorsqu’elle avait lancé son projet, plusieurs lui disaient que c’était de compétence fédérale et que le Québec n’y pouvait pas grand-chose.
Sur la bonne voie
Parmi les membres du nouveau comité, on compte également Patricia Tulasne, une des présumées victimes de Gilbert Rozon, qui tout comme douze autres femmes a vu son dossier rejeté en décembre dernier. Elle avait à l’époque raconté le « chemin de croix » vécu par les victimes d’agression sexuelle.
« Je suis contente de voir qu’on a décidé de prendre le problème au sérieux. Lorsque ma plainte a été rejetée, j’ai eu le sentiment que j’avais tout fait ça pour rien. Aujourd’hui, je trouve ça réconfortant qu’on veuille trouver des solutions », dit-elle.
Mme Tulasne alléguait avoir été agressée sexuellement en 1994 par le fondateur de Juste pour rire après une soirée donnée pour célébrer la dernière représentation d’une pièce produite par M. Rozon.
« Le fait que ma plainte n’ait pas été retenue devient maintenant accessoire […] Je suis vraiment dans l’action. Je me suis dit : il faut faire quelque chose, parce ça fait trop longtemps qu’on dit que les statistiques sur le nombre de victimes d’agression sexuelle sont alarmantes, que certaines victimes ne dénoncent pas par peur et qu’il y a peu d’accusations qui se soldent par des condamnations », explique-t-elle.
Mme Tulasne est également membre des Courageuses, un groupe d’une vingtaine de présumées victimes de M. Rozon qui lui réclament 10 millions de dollars en dommages punitifs seulement dans le cadre d’une action collective.
Financement des groupes d’aide
Parmi les solutions inévitables, disent plusieurs organismes, doit figurer un financement accru des organismes qui accompagnent les victimes.
« Nous espérons qu’effectivement, quand on parle d’accompagnement des victimes, on fera en sorte que les groupes qui sont spécialisés auprès des victimes d’agression sexuelle et de violence conjugale auront les moyens de faire leur travail. À l’heure actuelle, il n’y a pas eu de rehaussement suffisant depuis plusieurs années », a commenté Louise Riendeau, porte-parole du Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale.
Manon Monastesse, directrice générale de la Fédération des maisons d’hébergement pour femmes, renchérit, affirmant qu’en fin de compte, il faudra « assurer un meilleur soutien de nos groupes afin qu’on puisse mieux soutenir les femmes quand elles sont dans le processus judiciaire ».
L’an dernier, quelque 9800 demandes d’hébergement ont dû être refusées, faute de places et de budget, avait souligné Mme Monastesse à l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, le 8 mars. Une maison d’hébergement de 12 places reçoit une somme de 600 000 $ par année.
Source : Le Devoir ( avec la Presse canadienne)
photo : Jacques Nadeau Le Devoir
COMMUNIQUÉ du Cabinet de la ministre de la Justice et Procureur générale du Québec