C’est le système qui a gagné

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C’est le système qui a gagné. C’est le système qui a mis ses deux mains sales sur ma tête et qui m’a noyée dans la fontaine, celle devant le parlement. Ce sont ces mêmes mains qui m’ont tendu mes deux premiers (qui auront été les deux seuls) chèques d’aide sociale que j’ai reçus. Le système qui m’a dit «fais-en bon usage, Alice!».

Ok, le système, je vais faire bon usage de mon 670$. Ben en fait de mon 70$ qu’il me reste après avoir payé mon loyer. Merci, système!

Mais je suis correcte, système. Si je suis sur l’aide sociale aujourd’hui, c’est parce que vos médias m’ont collé l’étiquette de menteuse, de féministe folle à lier. Sur ces mêmes médias, j’ai vu quelques-uns de tes bons amis. Ceux qui écrivent des choses vraiment gratuites à mon sujet. Je peux me permettre de vous écrire quelque chose entre-deux «Crève la pute» pis «fais-toi mettre dans l’cul menteuse»?

Je suis tellement, mais tellement contente qu’un de tes amis, système, ait fouillé pour sortir LA NOUVELLE du siècle sur LA ALICE PAQUET! «Révélations troublantes sur Alice Paquet».

YOU GO GIRL. Yes!

J’étais travailleuse du sexe. Ben oui, une travailleuse du sexe, ça peut se faire violer aussi. Système, mon beau système, l’aide sociale, c’était parce que je ne pouvais sincèrement plus travailler. Ça fait quatre longues années que je me bats contre la dépression. J’ai un trouble de la personnalité limite, je me lève pratiquement chaque matin avec l’envie de mourir qui me traverse l’esprit. Et puis je me réveillais chaque matin avec la boîte de messages pleine à craquer. Des témoignages, principalement. Et je dois vous dire toute l’admiration que j’ai pour vous. Vous êtes grandes, fortes, indestructibles. Vos mots m’ont fait du bien.

J’étais déjà pas bien, mais cet automne on m’a pesé fort sur la tête pour que je m’enfonce encore plus creux. Je trouve que l’image est assez forte: celle de vouloir remonter à la surface avec une ancre accrochée à la cheville. L’ancre c’est le système judiciaire. L’ancre ce sont les médias. L’ancre c’est la police qui m’a dit: «Ça arrive tout le temps ces affaires-là faut pas s’inquiéter», quand je suis allée les voir avec les messages de menaces de mort que j’avais reçu en février. L’ancre, ç’a été mes problèmes de consommation aussi. Tout devenait plus gros chaque jour. Je préférais mourir. Je n’en voulais plus de bobos dans l’estomac. Je marchais dans la rue et c’est tout ce que je voyais, des signes tombés d’un ciel pour me tuer. L’arbre, il tiendrait le coup si je me pendais. L’autobus là il va assez vite pour que je meure, instantanément. Un savon Dove sur la peau, un grand nettoyage des intestins pour me permettre de m’envoler, avec la colombe telle sa marque de commerce. Je préférais mourir.

On m’avait donné l’opportunité d’écrire pour un média que j’estime hautement. Pourtant, quand je tapais, je réécrivais des lignes qui avaient déjà été écrites et c’est ce qui m’a achevée, finalement. Rien de nouveau. Une femme, un viol, un lynchage médiatique. L’histoire n’est pas propre à chacun, c’est du pareil au même. J’ai écrit en blague: «pas la peine de faire des funérailles nationales les femmes n’en méritent pas HAHAHA!!», et je riais à gorge déployée, sincèrement. C’est très drôle.

Système, cet article il est pour toi. C’en est un sans statistique, avec mes phrases un peu déconstruites, mes métaphores à cinq piasses. C’est pour te dire que I’m out. Tu m’as eu. Je m’en vais à l’hôpital mercredi pour un bout. Je vais me refaire une santé. Et je veux le crier tout haut parce que c’est ça qu’on fait, quand on est malade. On se fait soigner. Pas de tabous.

Je vous reviens en santé, en guerrière. Je vous reviens avec des armures, mes mots seront revenus. Mes soeurs, vos corps vous appartiennent.

Vous êtes grandes de par votre courage, vous êtes grandes quand vous criez, vous restez grandes dans le silence. Grandes dans la folie, dans la tempête. Seules ou en groupe. En tête ou derrière.

Ostie que j’vous trouve grandes. On brise les tabous, on parle plus fort et ça dérange souvent. Mais on le fait, pis faut se le dire entre nous qu’on fait bien. Si personne ne te l’a dit aujourd’hui: «Vas-y, parles-en, ça va aller, je serai derrière toi!»

Ah pis, système, I’m gonna beat your ass!

Texte d’Alice Paquet. 

Paru sur Urbania