5 mars 2021, je me lève avec une boule au ventre qui veut exploser…

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La veille j’ai lu, entendu des choses concernant les femmes assassinées au cours des dernières semaines. J’ai lu, entendu des messages déresponsabilisant les hommes violents ou même donnant du poids à leur justification. À quand la conscience de la portée de nos mots ?

Les mots ont une importance indéfectible… Je ne comprends pas pourquoi on s’adresse de cette manière aux hommes violents… Nous ne disons pas aux voleurs, aux membres des groupes criminalisés, aux djihadistes « … nous savons que vous souffrez… Aller vous faire soigner… » Ils sont violents, ils ont commis des actes inacceptables. Dire qu’ils sont malades équivaut à dire : vous n’êtes pas responsables… C’est d’ailleurs, ce que les hommes violents répètent de différentes façons pendant la phase de justification (faisant partie du cycle de la violence). J’ai l’impression que nous sommes plus durs avec les voleurs… qu’avec les hommes violents ?

Pourtant, la violence faite à sa conjointe/femme… est un choix. C’est une décision délibérée comme le voleur, celui qui fraude les gens. Il manigance, il manipule, il agit afin de répondre à ses propres besoins… Faut-il répéter encore et encore, que les différentes formes de violence utilisées : verbale, psychologique, économique, sexuelle, religieuse, physique… à l’égard des femmes, sont toujours dans le cadre d’UNE PRISE DE CONTRÔLE ET NON D’UNE PERTE de contrôle.

C’est choisi pour dominer l’autre. Alors, ne parlons pas d’impulsivité lorsque nous parlons de violence envers les femmes. Il est un homme, un mari, un conjoint… violent. Faisons attention à nos mots qui parfois banalisent et cessons de dire un homme à comportements violents… nous appelons les voleurs, voleurs, pas un homme à comportements voleurs ?

Et depuis quand souffrance égale violence ? Et pourquoi mettre sur la table cette équation lorsque nous parlons de la violence envers les femmes ? « … nous cherchons à comprendre encore… nous cherchons le pourquoi ? … » Sérieux ? Pourquoi il a tué sa conjointe, pourquoi il a tué ses enfants ? Vraiment, en 2021 nous ignorons la réponse ?

Nous avons une politique et un plan d’action gouvernemental en matière de violence conjugale en plus d’un comité d’expertEs et nous cherchons le pourquoi ? Le Québec s’inscrit dans la déclaration sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes de l’ONU, mais nous cherchons pourquoi ? Juste au cas où nous pourrions l’expliquer ? C’est pourtant simple. Il n’est pas fou, il n’est pas malade, il utilise différents moyens pour dominer, contrôler… sa femme/conjointe/ex-amoureuse … et jusqu’à la tuer elle et/ou ses enfants.

En posant ces questions, on laisse entendre qu’il y a une explication, une autre responsable… On sème le doute, celui qui alimente la honte des femmes victimes de violence. La honte qui est tellement lourde à porter. Qui isole et empêche les femmes de briser le silence. Ces femmes qui finissent par croire qu’elles sont responsables « si elle avait fait ça plutôt que ça, il n’aurait pas explosé… » «elle n’avait qu’à partir, à se défendre….. Voyons donc en 2021, on se laisse pas faire comme ça…» Ces femmes qui finissent par croire tous ces préjugés, qu’elles sont faibles, ne méritent pas mieux… Qui finissent par se responsabiliser de la situation.

Nous ne voyons pas le double message ? D’ailleurs, nous ne sommes pas à un message près. C’est comme lorsqu’on prétend qu’un homme violent dans un contexte conjugal, peut être un bon père. Mais voyons ? Il insulte et dénigre ma mère mais il arrive à être bon père ? Il frappe sur la table de la cuisine pour reprendre le contrôle, mais il est un bon père ? Et lorsqu’on dit aux mères victimes de violence conjugale, de quitter leur conjoint/mari… sinon, il y aura action pour la sécurité de l’enfant. On culpabilise, responsabilise la femme de la situation dont elle est victime… on ne reconnait pas la complexité de la violence conjugale et ce, jusqu’à lui faire payer le prix en plaçant ses enfants. En passant, la violence conjugale n’est pas une problématique cause à effet. Ce n’est pas parce que la femme quitte que le conjoint que la violence cesse. Les enfants, comme l’ex-femme, vont continuer à subir la violence et ce, tant que l’homme ne prendra pas conscience de son grave problème et n’agira pas pour tout changer.

Et les femmes violentées dans tout ça ? Qui parle de celle au cœur meurtri, de sa souffrance permanente jusqu’au jour où l’escalade arrive au point de non-retour. Qui parle de son désespoir, de son isolement, de son estime en dessous de zéro, de sa peur au ventre qui ne la quitte jamais… Une peur comme lorsque l’on veut sauter du haut d’un tremplin pour la première fois… On a peur, le souffle coupé… On croit mourir…Ce sentiment est vécu 24/7 chez la femme violentée. Elle a de plus en plus difficulté à savoir ce qui est bon pour elle, à demander de l’aide, car elle est au prise de cette violence, de cette toile invisible tissée par lui insidieusement.

SOYONS LÀ POUR LES FEMMES… qui sont… notre amie, collègue, sœur, voisine, mère, employée… de toutes les cultures, croyances… de tous les âges et de toutes les situations de santé et économiques.

SOYONS LÀ POUR LES FEMMES… Soyons empathiques sans jugement… Disons leur que nous les croyons, que nous comprenons que c’est difficile… … Répétons-leur constamment qu’elles ne sont pas responsables… et que nous sommes là pour elles…

Quant aux hommes qui veulent contribuer à mettre fin à la violence faite aux femmes, qui veulent une société non violente égalitaire, ils peuvent contribuer à changer les choses comme la population en général. Nous avons du pouvoir en faisant appel à notre vigilance et notre action. Ces hommes violents, on les voit, on les entend, on travaille avec eux, on fait du sport avec eux, on sort avec eux, on soupe avec eux… Ils sont riches, pauvres, de toutes les cultures, croyances, de tous les âges, les professions… Parfois on rit de leur blague et même de celles à l’égard de leur conjointe… elle a même peut-être souri lors de la blague mais de malaise et pour ne pas le contrarier. Et de retour à son domicile, le conjoint violent utilise notre rire comme munition, pour alimenter son pouvoir car il lui rappelle : « … tu vois, même ta famille était d’accord avec moi quand j’ai dit que tu n’étais pas vite… ».

Faisons appel au respect en tout temps. Respect= aucune zone grise. R-E-S-P-E-C-T comme la fameuse chanson. Soyons alertes… et lorsqu’un doute s’installe, agissons… allons au-delà de la peur de se tromper car notre silence peut tellement être violent pour la femme. Il peut alimenter son sentiment de honte… Intervenons « … y’a rien drôle… on ne parle pas comme ça de ma sœur … ». Freinons son pouvoir et allons vers elle avec tact et respect. Disons-lui, que nous sommes désolées … demandons-lui comment elle va, comment on peut l’aider… rappelons-lui que nous sommes là pour elle… revenons à la charge, ne baissons pas les bras… mais toujours avec respect… allons chercher de l’aide auprès des maison d’aide et d’hébergement pour avoir des outils et pour ventiler car la situation est inquiétante.

La violence est inacceptable, qu’on le dise et répète tant que nécessaire ! Soyons une société conséquente avec nos actions… donnons à nos lois, politiques… du mordant, des moyens… système/processus humain envers les victimes et des sentences à la hauteur des crimes.

Ne lâchons pas les femmes, soyons à l’écoute, brisons le silence, agissons…La violence faite aux femmes, ça s’arrête là.

Nathalie Lemieux, directrice de la maison Regard en Elle.